vendredi 3 février 2017

Henry Cuny, président d'honneur de l'Institut Tchobanian

 Henry Cuny, 
président d'honneur de l'Institut Tchobanian


Lors d'une réunion organisée le 2 février 2017 à Paris, le Conseil d'administration de l'Institut Tchobanian a décerné le titre de Président d'honneur à Monsieur Henry Cuny, ancien l'ambassadeur de la France en Arménie.

M. Cuny avec l'attestation de présidence d'honneur de l'IT
Une trentaine de personnes étaient réunies au Yan's club en présence de SEM Viken Tchitechian, l'ambassadeur de la République d'Arménie en France, M. Vahé Vahramian, le représentant de l'Arménie auprès l'UNESCO, des présidents d'associations, des journalistes (RFI, France-Arménie, Nor-Haratch, Radio Free Europe, revue "Europe et Orient")

M. Sirapian président de l'IT offre un cadeau symbolique (jeune femme arménienne avec une grenade) à M. Cuny


M. Varoujan Sirapian dans une courte présentation a rappelé les activités de l'Institut en 2015 et 2016, aussi bien en France qu'en Arménie, notamment la visite de M. Cuny, invité par l'IT, avec la participation du ministère de la Culture de l'Arménie et l'UFAR pour présenter son livre "Arménie, l'âme d'un peuple". Il a été rappelé aussi les publications du livre du professeur Yaïr Auron (en français et en arménien) sur la famille Aznavour et le Groupe Manouchian.

Ensuite il a passé la parole à M. Henry Cuny.
M. Cuny prononce son discours comme Président d'honneur.
 
Discours d’introduction de M. Henry Cuny
Ancien ambassadeur de France en Arménie

Jeudi 2 février 2017


            Monsieur le Président,
 
           Par lettre du 30 décembre dernier vous m’avez aimablement proposé la présidence d’honneur de l’Institut que vous avez fondé et qui se propose de promouvoir la culture française et la francophonie en Arménie.
            Comme vous le savez, ces deux thématiques ont fortement inspiré mon action dans ce pays durant les cinq années où j’ai été le représentant de la France (2002-2006). Elles ont notamment donné naissance à l’Université française en Arménie dans ses statuts actuels qui l’ont hissée au rayonnement et aux résultats que l’on sait.
            C’est donc un grand honneur que vous me faites en me demandant d’apporter ainsi mon parrainage à un Institut qui porte le nom d’un grand intellectuel arménien, Archag Tchobanian, chez qui je retrouve ce souci qui fut et demeure le mien de diffuser les lettres françaises parmi les Arméniens et faire connaître la culture arménienne en France.
            C’est dans cet esprit d’échange des idées et des lettres, d’approfondissement de nos identités respectives, d’exploration et de découvertes de nos singularités, que j’accepte volontiers, avec cette charge honorifique, d’apporter ma pierre à vos initiatives en ces domaines.

            Cette lettre d’acceptation que votre assemblée me fait aujourd’hui l’amitié de ratifier définit, je crois, très précisément le sens que je veux donner à cette présidence d’honneur et le domaine auquel j’entends me tenir - loin de la politique, même internationale dont je ne suis plus chargé - celui des échanges culturels entre la France et l’Arménie, la culture ayant toujours été pour moi l’âme de la diplomatie : l’âme mais aussi l’arme la plus effective, la plus convaincante. La culture est la clef par laquelle le cœur de chaque peuple peut s’ouvrir aux autres. Elle ne peut et ne doit en aucun cas être un enfermement car, ainsi que l’a dit le maréchal Foch, il n’y a pas d’homme cultivé, il n’y a que des hommes qui se cultivent.
            Toute la vie d’Archag Tchobanian en porte témoignage. Je vois un peu cette grande figure comme la quintessence de ce que vous êtes, amis de la diaspora, fidèles à vos deux cultures, non pas franco-arméniens mais Français et Arméniens, non pas 50/50 mais deux fois 100% pour rester fidèles à ce beau proverbe arménien :

« Autant de langues tu connais, autant d’hommes tu es »
           
            A ce propos Anatole France, que Tchobanian rallia à la cause arménienne, nous donne une belle définition de l’identité : « Ces Arméniens sont vraiment un peuple par la communauté de la langue et des croyances religieuses, par la communion dans les mêmes souvenirs et les mêmes espérances, par la fraternité des sentiments, par la volonté forte et constante de vivre d’une même vie, de penser d’une même âme ». On ne peut qu’être frappé par les concordances avec la vision que donne Renan de la nation : « Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore ; voilà les conditions essentielles pour être un peuple ». On comprend qu’Anatole France, l’auteur de Thais (où il peint la vie étrange des solitaires chrétiens de la Thébaïde aux derniers temps de la civilisation alexandrine et romaine) ait été ému par le sort de ces chrétiens d’orient que l’actualité met à nouveau tragiquement en lumière. Déjà à cette époque Romain Rolland, lui aussi, opposait les passions déchaînées par l’affaire Dreyfus à la surdité concernant les massacres d’Arménie.

            Tchobanian, né en 1872 dans un faubourg arménien de Constantinople, a toute sa vie voulu diffuser les lettres françaises parmi les Arméniens et faire connaître la culture arménienne en Europe. De très bonne heure, il a traduit les œuvres d’Alphonse Daudet, de Maupassant, de Flaubert, de Zola. Il a fondé à Paris en 1898 la revue en langue arménienne Anahit.
            Pour Tchobanian, la France incarnait les idées de liberté, de justice et de fraternité universelles.
Il n’est pas très difficile pour un ancien ambassadeur de France de se retrouver dans son parcours.
            De façon plus anecdotique je me suis aperçu que nous avions tous deux fait une rencontre commune : le sculpteur Antoine Bourdelle remercia Tchobanian de lui avoir fait découvrir à travers son ouvrage La Roseraie la beauté de l’art arménien : un art qu’il qualifie d’architectural, où « l’esprit rayonne doucement car il vient de l’âme des pierres ». Il se trouve que, chargé des questions culturelles à notre ambassade en URSS, j’eus à organiser une exposition Bourdelle, à vérifier le bon état d’arrivée de ses sculptures à Moscou et à Léningrad et je tombai moi aussi sous le charme de ces marbres qui avaient une âme et je comprends les affinités du sculpteur avec l’art arménien. Je l’ai ressenti moi-même lorsque dans mon poème « L’Arménienne » j’écris : « Son âme tendre est un khatchkar ».

Ce sont toutes ces impressions, toutes ces affinités électives que j’ai eu le plaisir de retrouver en Arménie en octobre dernier, suite à l’invitation de la Ministre de la culture, Hasmik Poghossian. Une semaine extrêmement chargée avec une présentation de la traduction arménienne de mon essai « Arménie : l’âme d’un peuple » au musée Komitas en présence de tous les médias, six conférences, dont trois dans les universités devant des amphithéâtres combles, sans compter trois plateaux télévisés en deux jours. Mais ce qui m’a le plus ému c’est d’avoir retrouvé là-bas des anciens étudiants de l’Université française et ce, dès le premier soir, avec le Président des avocats francophones d’Arménie ; ce fut aussi d’apprendre de la bouche du nouveau Recteur, M. Lavest, très dynamique et apprécié, que 91% de nos 1700 diplômés exerçaient des responsabilités en Arménie, y compris en la personne du premier conseiller du nouveau Premier Ministre… Comme il faut bien quelques exceptions je suis heureux de saluer ce soir la présence de deux anciennes étudiantes qui furent en tête de leur promotion, respectivement en faculté de droit et en faculté de gestion.

            Au fil de ces quelques notations vous voyez sans doute se dessiner quelques orientations qui restent à affiner pour l’action culturelle de l’Institut Tchobanian.

            La première tourne autour du développement de la francophonie en Arménie. Elle peut être axée sur l’enrichissement des bibliothèques souvent très déficitaires en livres français. La bibliothèque Issahakian par exemple, que j’ai visitée, manque cruellement d’ouvrages d’auteurs contemporains. Pour atteindre un public jeune un effort pourrait être fait en faveur de la bande dessinée, peut-être en liaison avec l’Alliance française. D’une manière générale l’Institut, compte tenu de ses moyens modestes pourra chercher des synergies dans le cadre de l’année de la francophonie 2018.

            La seconde orientation pourrait favoriser ces deux pôles majeurs de la francophonie que constituent aujourd’hui le lycée français et l’université française. Il faut continuer à sensibiliser la diaspora à l’accueil des élèves et étudiants pour des stages en rapport avec leur cursus et les besoins de l’Arménie dans tous les domaines, en particulier tout ce qui touche au tourisme qui m’a toujours paru un des ressorts de développement de ce pays.

            La troisième orientation, en syntonie avec le nom de notre Institut, serait de valoriser l’héritage d’Archag Tchobanian : republication de ses écrits en français, baptême d’une rue ou place d’Erevan à son nom, ou encore d’une école ou d’une section où l’on enseigne le français.

            Ce ne sont là que des pistes mais bien entendu, nous vous tiendrons informés au fur et à mesure qu’elles se concrétiseront.

 ***
Après la réunion les conversations ont continué autour d'un cocktail. Monsieur Cuny a dédicacé son livre "Arménie, l'âme d'un peuple".

 

Puis pendant le dîner les convives ont pu échanger avec l'invité d'honneur.

Une trentaine de personnes au diner de Yan's, autour de Henry Cuny


Questions-réponses entre deux plats
Les convives ont exprimé leur souhait de voir l'organisation de ce genre de réunion/dîner  plus fréquemment.


par Arthur Turyan
Photos : Jirayr Jolakian