HOMMAGE
A THEO ANGELOPOULOS
Christophe
Chiclet
29.01.2012
Figure
de proue du cinéma grec contemporain, Théo Anguelopoulos a été
fauché accidentellement sur la voie rapide de Drapetsona dans la
banlieue du Pirée le 24 janvier dernier au soir par un motard de la
police, alors qu’il tournait son dernier film, « L’autre
mer ».
Né
à Athènes le 27 avril 1935, Théo Anguelopoulos a commencé des
études de droit à Athènes, puis s’est inscrit à la Sorbonne en
1961. L’année suivante, il entre à l’IDHEC (l’école du
cinéma français de l’époque), mais il y est renvoyé avant la
fin de l’année universitaire pour « non conformisme ».
Il rentre donc en Grèce en 1963 et devient critique de cinéma dans
le journal de gauche communisant « Changement Démocratique ».
En effet, depuis la guerre civile, le KKE (Parti communiste de Grèce)
est interdit dès 1947. Il ne sera officialisé qu’à l’automne
1974 après la chute de la junte des colonels. Durant cette période,
la gauche se retrouve dans l’Union du centre du vieux Giorgos
Papandréou et dans la Gauche démocratique unifiée (EDA) constituée
de socialistes et de crypto communistes.
Le 21 avril 1967, les
Colonels manipulés par les Américains (CIA, DIA, Groupe Gladio)
prennent le pouvoir. Tous les journaux de gauche, du centre et de la
droite modérée doivent fermer. Mais paradoxalement, en 1970, il
tourne son premier long métrage, « La reconstitution »
et reçoit cette année là le prix du meilleur film et du meilleur
réalisateur au festival de Salonique. Cela reste une énigme quand
on sait que de 1967 à 1972, la Junte excluait toute ouverture
culturelle démocratique. Par ailleurs, il commence à tourner sa
première trilogie en 1972, « Jours de 36 ». Ce film
retrace la grève révolutionnaire des ouvriers de Salonique en
mai-juin 1936, suite à la formation d’un Front populaire en Grèce,
exactement comme en France et en Espagne au même moment. Cette vague
révolutionnaire va être écrasée par le coup d’État du général
royaliste Métaxas le 4 août 1936. Métaxas va instaurer un régime
d’inspiration fasciste jusqu’à l’invasion nazie d’avril
1941. Le deuxième film, « Le voyage des comédiens »,
sortie en 1975, retrace les errances d’une troupe de théâtre dans
la Grèce occupée par les germano-italo-bulgares de 1941 à 1944.
Mais aussi une Grèce résistante organisée par les forces de
gauche. Ce film recevra le prix de la critique internationale du
festival de Cannes. Deux ans plus tard, sort « Les chasseurs »
qui couvre la guerre civile de 1946-49. Anguelopoulos dénonce
l’absurdité des deux idéologies totalitaires qui s’affrontent
alors dans une guerre fratricide : monarcho-fascistes contre
communistes staliniens.
En
1980, il tourne « Alexandre de Grand », qui parle d’un
bandit d’honneur grec du XIX° siècle. Cette fois, il dénonce
clairement le totalitarisme communiste. En 1984, il rompt avec le
cinéma d’ordre politique pour faire des mises en scènes
d’expériences individuelles d’ordre intimistes. C’est le cas
de « Voyage à Cythère » en 1984, prix du scénario au
festival de Cannes, « L’apiculteur » en 1986 et
« Paysage dans le brouillard », deux ans plus tard, Lion
d’argent à Venise.
De
l’intimisme, il passe à l’onirisme avec « Le pas suspendu
de la cigogne » en 1991, « Le regard d’Ulysse »
en 1995, grand prix du festival de Cannes. En 1998, avec « L’éternité
et un jour », il reçoit la palme d’or qu’il convoitait
depuis longtemps. Il n’avait pas du tout apprécié qu’Emir
Kusturiça lui ait soufflé peu avant. Anguelopoulos, n’aimait
guère les critiques négatives. En 2004, il se lance dans une
nouvelle trilogie : « Eléni » qui retrace l’arrivée
de Grecs du Pont Euxin, expulsés par les Turcs après la Première
Guerre mondiale et installés en Thrace occidentale grecque, dans une
région régulièrement inondée. Après l’exil politique, l’exil
climatique. En 2008, sort « La poussière du temps », qui
n’a pas eu une grande diffusion internationale. « L’autre
mer », devait parler de la crise économique grecque actuelle
et à la paupérisation des Grecs qui rappelle les années
1941-1955 ; une sorte de retour à la première trilogie,
interrompu de manière tragique.
Le
cinéma de Théo Anguelopoulos a été critiqué par les
« spécialistes » comme une filmographie trop longue,
soucieuse d’une esthétique qui se reflète dans la lenteur des
plans et misant sur le symbolisme des situations et des paroles.
Finalement, son œuvre cinématographique se penchent essentiellement
sur les ressorts profonds des comportements humains. Ce cinéma est
souvent décrié comme élitiste et inlassablement répétitif, ce
qui lui a parfois assuré plus de popularité à l’étranger qu’en
Grèce même.