vendredi 29 juin 2012

Entre chaos afghan et « révolutions ».


Entre chaos afghan et « révolutions » : Une hirondelle arabe ne fera pas le printemps russe

par Jean Géronimo*
Mondialisation.ca, Le 21 juin 2012
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=31533 



A l’heure de l’accélération du retrait occidental du bourbier afghan, succédant à l’embrasement « révolutionnaire » du Moyen-Orient, on ne peut qu’être inquiet pour l’avenir du cœur du nouveau monde, l’Eurasie, historiquement soumise aux rapports de force entre grandes puissances et devenue, depuis la fin de la Guerre froide, une véritable poudrière géopolitique.

L’évolution internationale récente est, en effet, porteuse de lourdes incertitudes pour la stabilité politique de l’espace eurasien. Cette évolution est, dans ses grandes lignes, impulsée par deux chocs exogènes majeurs : les crises arabes et le chaos afghan, en raison de leurs implications structurelles sur les grands équilibres régionaux. Or, si elle va au bout d’une logique désormais « orientée » par les grandes puissances, dans le cadre d’une implacable lutte d’influence axée sur le contrôle des États stratégiques de la région – les « pivots géopolitiques » de Brzezinski – cette configuration se transformera en une déstabilisation programmée de l’Échiquier eurasien. Avec, à la clé, d’énormes et irréversibles dégâts collatéraux.

Tendanciellement, cette double évolution est la matrice d’une stratégie inconsciente et suicidaire de fragmentation de l’espace politique russe élargi, dans la conception traditionnelle des dirigeants russes, à l’ancien espace soviétique. A ce jour, évoluant dans une sorte de surréalité idéologique dominant le monde irrationnel de l’ignorance apprise, l’Occident ne semble pas l’avoir encore compris. Regrettable erreur.

Cet espace reste en effet le pré-carré géopolitique de Moscou et le nerf structurant de sa politique extérieure et, au-delà, le levier de sa légitimité internationale, récemment confirmé par la nouvelle orientation définie par le président de la Fédération de Russie, V. Poutine. De manière officielle, Moscou considère les impacts directs et indirects de la radicalisation des « révolutions » arabes – dont est issue la renaissance d’Al-Qaïda au Maghreb arabe et plus récemment, en Syrie – comme une menace contre ses intérêts nationaux. Dans la doctrine de sécurité russe rénovée, ces derniers intègrent la Communauté des États indépendants (CEI), sorte d’Union soviétique hybride désidéologisée, historiquement constituée à partir des ex-républiques de l’URSS et structurellement considérée par Moscou comme une zone potentielle d’intervention – une sorte de ligne rouge à ne pas franchir. L’Occident est averti.

Dans la vision stratégique de long terme de la Russie post-soviétique, impulsée par V. Poutine depuis la révision du Concept de sécurité nationale russe en janvier 2000, cette radicalisation du « printemps arabe » est le vecteur d’une montée en puissance de la « menace islamiste » – c'est-à-dire, selon la terminologie russe, celle issue de l’Islam radical porteur, en définitive, d’une idéologie alternative. Il s’agit donc de rappeler, de manière succincte, la perception russe de ces « nouvelles menaces ».

Le désengagement américain de l’Afghanistan, en supprimant un tampon sécuritaire vital, est un véritable piège géopolitique pour la Russie et sa proche périphérie. A terme, ce retrait apparent (en fait partiel) va reposer avec plus d’acuité la question de la légitimité de la présence américaine dans la région centre-asiatique, dans la mesure où le président Obama a confirmé son maintien sous une forme certes réactualisée mais continuant à s’appuyer sur une présence politique et militaire plus ou moins officielle – via sa cohorte de « conseillers » et ses multiples « bases ». Ce que Moscou conteste ouvertement, y voyant surtout une stratégie d’implantation durable dans son pré-carré et remettant en cause ses prérogatives historiques héritées de sa période soviétique. En totale conformité avec l’analyse de Zbigniew Brzezinski, la partie stratégique se poursuit donc sur l’Échiquier eurasien, à travers la décision américaine de « quitter » l’Afghanistan qui aura, au final, un triple impact pour la Russie. En cela, cette décision intègre une fonction latente, politiquement orientée et, surtout, nuisant aux intérêts russes.

– D’abord, ce retrait programmé va accélérer la propagation de la drogue en raison de l’émergence de nouvelles structures informelles et de nouveaux réseaux politico-narcotiques, à l’échelle de la CEI – et sans doute, avec la complicité de puissances hostiles objectivement intéressées à la fragmentation politique de la Russie. A ce jour, Moscou critique l’inefficacité – plus ou moins recherchée ? – de la lutte anti-drogue conduite par l’axe OTAN-USA en Afghanistan et qui pénalise surtout la zone d’influence russe. Cette dernière raison incite les dirigeants russes à suspecter l’administration américaine d’agissements « douteux » dans leur gestion de la menace narcotique et, en particulier, d’une instrumentalisation politique de cette menace – qualifiée par V. Poutine de « narco-menace ».Tous les coups sont bons, sur le Grand échiquier.

– Ensuite, ce retrait va favoriser l’infiltration des forces extrémistes et terroristes dans les zones conflictuelles de l’ancien Empire soviétique, souffrant à la fois d’un contrôle déficient et d’une perte de légitimité de l’État central russe. Cette perte de légitimité est aggravée par la conjonction de deux éléments :

- d’une part, l’action politiquement non neutre de certaines institutions étrangères, via les revendications « démocratiques » des organisations multilatérales et des ONG, véritables moteurs des récentes « révolutions de couleur » ou autres « révolutions internet », fondées sur la manipulation de l’information et dont l’objectif final est de renverser des régimes hostiles au profit de dirigeants plus « malléables ».

- d’autre part, la politique occidentale du « soft power » visant à déconnecter la périphérie post-soviétique de la dépendance russe, via une stratégie de partenariat avec les États de la CEI, dont la politique de « voisinage partagé » menée par l’Union européenne et l’intégration d’ex-républiques soviétiques aux manœuvres de l’OTAN dans le cadre du « Partenariat pour la Paix ». L’objectif ultime est d’intégrer aux structures otaniennes les républiques désireuses de s’émanciper du « grand frère » russe et, en ce sens, d'affaiblir le pouvoir régional de la Fédération de Russie. Regrettable et inutile provocation.

– Enfin, ce retrait va encourager l’expansion du nationalisme religieux et identitaire – lui-même renforcé par la récente évolution arabe – dans les zones ethniquement sensibles et à dominante musulmane de l’espace russe : Caucase, Oural, Asie centrale. Ce que Daniel Bell, dés le début des années 60, dans son livre, « La fin des idéologies » a fort justement qualifié de germes de « micro-nationalismes » et que plus tard, Hélène Carrère d’Encausse popularisera en 1978 avec « L’Empire éclaté ». Au final, une conséquence paradoxale de la disparition de l’Union soviétique et de la délégitimation induite du Communisme a été de substituer la religion à l’idéologie comme vecteur identitaire et catalyseur de l’émancipation des peuples – voire comme variable instrumentalisée par l’administration américaine, dans le cadre de sa stratégie de défense de son leadership en Eurasie. Cette « politisation » de la religion, favorisée par le déclin de l’idéologie communiste, est un facteur explicatif et structurant du « Printemps arabe ». Et, en ce sens, une véritable bombe géopolitique à retardement.

Fondamentalement provoquée par le double choc exogène arabo-afghan, cette involution ethno-religieuse risque, à terme, de gangrener la zone de domination russe et sa ceinture périphérique, politiquement fragile et énergétiquement riche, donc stratégiquement importante. Dans le prolongement de la « ligne Brzezinski », cette involution aura pour principale conséquence d’enliser la Russie post-soviétique dans des micro-conflits périphériques économiquement épuisants et politiquement déstabilisants. En cela, elle se présente comme une menace majeure contre les intérêts politiques de la Russie mais aussi contre ceux de l’Europe, caractérisée par une forte dépendance énergétique à l’égard de la Russie – qui pourrait se traduire, dans un scénario-catastrophe, par une forte envolée des prix des hydrocarbures. En encourageant, sous la houlette de madame Ashton, la radicalisation démocratico-islamiste sur l’Échiquier arabe et par ricochet, en périphérie post-soviétique, voire en suscitant des révolutions libérales « de couleur » en vue d’éroder l’influence russe au nom de valeurs morales supérieures, la vertueuse Europe, avec son soutien américain, se tire une balle dans le pied. Au risque, bientôt, de déclencher des processus incontrôlables et, in fine, déstabiliser l’Eurasie post-communiste.

Face à cette pression croissante de la conjoncture internationale, aggravée par les manœuvres insidieuses de l’Occident, la Russie vient de créer une commission à la Douma chargée de la prévention et de la neutralisation des « révolutions de couleur ». Dans le même temps, comme alternative politique au rapprochement avec l’Occident (dont le comportement est perçu comme très ambigu) et pour compenser le « vide stratégique » issu de son retrait d’Afghanistan (perçu comme une forme d’égoïsme irresponsable), la Russie prône le développement d’un axe sécuritaire eurasien via la réactivation de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), centrée sur le renforcement du partenariat sino-russe et son élargissement aux nouvelles puissances régionales émergentes comme l’Inde. Le 5 juin 2012, lors de la visite de V. Poutine en Chine, le président russe et son homologue chinois, Hu Jintao, ont insisté sur la nécessité de renforcer leur partenariat stratégique en vue d’assurer la sécurité régionale menacée par « l’impasse afghane » et, en définitive, contrebalancer l’axe otanien – signal clair, en guise d’avertissement, avant la prochaine rencontre Obama-Poutine au sommet du G20 à Los Cabos, au Mexique (18-19 juin). Veille sécuritaire, au cœur de l’Eurasie.

En fragilisant la domination russe dans une zone névralgique et source d’incertitudes pour l’Europe, les instabilités en zones centre-asiatique et moyen-orientale – générées par les dérives chaotiques arabo-afghanes – sont donc un réel vecteur de désordres pour l’espace post-soviétique et, plus globalement, pour le continent eurasien. De manière objective, ces dérives forment une matrice potentielle de conflictualité et, en dernière instance, de restructuration des rapports de force internationaux – avec, pour enjeu implicite et ultime, le contrôle de la gouvernance mondiale.

Dans le cadre de ce bras de fer entre leaderships concurrents, le rôle stratégique et politiquement décisif de la Syrie dans la région explique la fermeté de la position russe actuelle. Désormais, quitte à s’opposer frontalement à la coalition d’intérêts arabo-occidentale, Moscou ne peut plus reculer et elle veut faire de la Syrie un symbole de son retour sur la scène internationale comme vecteur du rééquilibrage multipolaire de la gouvernance, s’appuyant sur l’ONU. Cette attitude russe peut d’autant plus s’expliquer qu’elle rejette toute poursuite du « scénario libyen » d’islamisation de la région, avec l’aide (involontaire ?) de l’OTAN, sur la base d’une savante stratégie de désinformation – déjà expérimentée en Afghanistan, en Irak, dans l’ex-Yougoslavie et même, dans les ex-républiques soviétiques. La nouvelle crédibilité internationale de la Russie, péniblement reconstruite par V. Poutine depuis le début des années 2000, est en jeu. Et, au-delà, son identité post-soviétique.

Loin de faire le printemps russe, une hirondelle arabe pourrait enfanter un « hiver afghan » aux couleurs islamistes, particulièrement redouté par l’héritière de l’ex-URSS, car ressurgi des méandres de la Guerre froide avec le fantôme de Brzezinski et de troublantes manipulations américaines. En effet, Moscou n’a pas oublié le « piège de Kaboul » de décembre 1979 préparé, sous la bienveillance de ce dernier, par la démocrate administration Carter pour donner à l’armée rouge sa « guerre du Vietnam » et, in fine, déstabiliser le pouvoir russe – avec les conséquences que l’on sait. Trente trois ans plus tard et avec la complicité occidentale, le piège afghan risque de se refermer, à nouveau, sur la Russie post-soviétique. Terrible malédiction.

Au cœur du Grand échiquier eurasien, la Guerre tiède semble, désormais, inéluctable (1).



(1) La notion de Guerre tiède est conceptualisée dans le post-scriptum de la nouvelle version de mon livre, augmentée de 50 pages et centrée sur les menaces liées aux crises arabes et au bouclier anti-missiles américain : « La Pensée stratégique russe – Guerre tiède sur l’Échiquier eurasien », préface de Jacques SAPIR, mars 2012, éd. SIGEST, code ISBN 9782917329375 – en vente : Amazon, Fnac, Décitre (15 euros).

* Jean Géronimo est un collaborateur régulier de Mondialisation.ca et de la revue Europe&Orient (Institut Tchobanian).

samedi 9 juin 2012

Lettre ouverte à VALEURS ACTUELLES

le 7 juin 2012 -

à Monsieur François d’ORCIVAL
Président du Comité Editorial
VALEURS ACTUELLES 
1, rue Lulli, 75002 Paris

Monsieur le Président,

Dans l’article « Azerbaidjan : l’allié oriental » (no 3940 du 31 mai), je ne comprends pas qu’un journaliste de la qualité de Frédéric Pons ait pu publier certains passages relatifs à l’Arménie sans se référer en profondeur en ce qui concerne le conflit de l’Azerbaidjan turc avec les Arméniens. Très certainement abusé par ses hôtes qui ont profité du climat festif de l’Eurovision, Frédéric Pons traduit tout simplement la rhétorique habituelle de désinformation du pouvoir en place où suivant une procédure bien huilée utilisée auprès de la presse occidentale, l’agresseur devient la victime.

Bakou entretient une guerre larvée avec l’Arménie et le Haut-Karabagh qui s’est libéré de sa tutelle (rattaché arbitrairement avec le Nakhitchevan à l’Azerbaidjan par les Bolchéviques dans leur politique pro musulmane des années 20, deux régions historiquement arméniennes depuis la plus Haute-Antiquité). Résultat en 90 ans d’administration azérie, plus aucun Arménien au Nakhitchevan, taillé en plein cœur de l’Arménie, maintenant islamisé et turquifié. A la chute de l’URSS, ne voulant pas subir l’exemple du Nakhitchevan, les Arméniens du Haut-Karabagh ont chèrement acquis leur indépendance pour sauver leur peau à un contre quinze, mais trop tard pour le Karabagh des Plaines sous contrôle azéri qui a connu aussi le triste sort du Nakhitchevan.

A la même période, 400 000 Arméniens, victimes de pogroms partout en Azerbaidjan quittaient ce pays avec quelques maigres valises (Nuits de Cristal de Bakou, en janvier 1990, où pendant sept jours, excitée par le pouvoir, la populace avide de meurtres, de pillages et de viols, investissait les habitations arméniennes et aussi russes, sans que Gorbatchev ordonne à l’Armée Rouge de sauver les Chrétiens). Des dizaines d’églises transformées en mosquées ou en dépôts, granges... On reste médusé lorsque Frédéric Pons affirme en fin d’article que « ce pays musulman est resté l’un des plus tolérants de la planète ».

Enfin, pour effacer toute trace d’un peuplement arménien trois fois millénaire, les Azéris ont récemment brisé et jeté dans le fleuve Araxe les 10 000 pierres tombales et les fameuses croix de pierre ciselées, un patrimoine de l’humanité datant du Haut-Moyen Age du cimetière médiéval de Djoulfa. Pas un mot de protestation de l’UNESCO... que finance l’Azerbaidjan. Pétrole quand tu nous tiens.

C’est à l’honneur de Valeurs Actuelles de rétablir la vérité auprès de ses lecteurs en sachant que « les 20% du territoire azéri occupés par l’Arménie » ne sont en réalité que d’anciennes provinces arméniennes, retournées à leurs légitimes propriétaires. Faut-il condamner la France par l’Allemagne et le Conseil de Sécurité de l’ONU d’avoir libéré l’Alsace et la Lorraine ? Faut-il les rendre à l’Allemagne du fait qu’elle les avait annexées contre l’avis de leurs populations durant une cinquantaine d’années ?

Vous remerciant de votre attention pour le Courrier des Lecteurs, je vous prie d’agréer Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.

Armand MEKITARIAN

mercredi 9 mai 2012

Ataturk Unmasked

Commentary: Ataturk Unmasked

By Edmond Y. Azadian

A little-known historical event has a great significance in deciphering and defining the racist ideology of today’s Republic of Turkey; during World War II, Turkey was assisting Nazi Germany’s war efforts by supplying raw material to its war machine, in appreciation of Turkey’s support, Hitler allowed the transfer of the remains of Talaat Pasha, assassinated in Berlin in 1921, his Turkish soul mate, back home to Turkey, where a monument was erected in Istanbul’s Liberty Hill (Hurriyet Tepe) as a shrine for all racist Turks to visit and venerate one of the arch-criminals of the 20th century. That monument is still standing, carrying with it symbolism for the Turks and their victims.
When historians hold responsible and accountable the present Republic of Turkey, as the successor state inheriting all the booty generated by the murder of 1.5 million Armenians, they need also to refer to the symbolism that Talaat Pasha’s monument represents.
Current leaders of Turkey cannot avoid responsibility because they have inherited historic Armenian territory and the blood money resulting from the murder of an unarmed nation.
Fortunately, some Turkish scholars, writers and journalists are awakening to the fact that the present generation of Turks have on their shoulders an awesome burden of history. One of those writers, Ayse Hur, is revising the history she was taught at school in an article published in Radikal, unmasking the racist policies of Ataturk, the founder of the modern Republic of Turkey.
Historian Taner Akçam, through his thorough research, reveals that many Ittihadist government functionaries who had executed Talaat’s orders eventually joined the milli movement of Ataturk in laying the foundations of the Republic of Turkey.
However, even Ataturk himself as a young man in the military had joined the Union and Progress Party of Talaat and he also had a significant role in the Young Turk revolution of 1908 which deposed the sultan.
His hands are not clean as a military man either, as he participated in colonial wars to put down revolts against the harsh Ottoman rules in Albania (1910) and the Balkans (1912-1913). The same colonial war was waged against Armenians in Cilicia (1921) and Greeks in Smyrna (1922) under the direct leadership of Ataturk.
Reading through scholarly or journalistic sources in the West, one is left only with awe and respect vis-à-vis Ataturk as a military leader and reformer. No mention, if any, is made of his racist policies and atrocious war crimes. Reading BBC sources on the Internet, we come to “admire” the father of modern-day Turkey.
The source presents Ataturk, the fatherly figure in the following way: “He [Ataturk] launched a program of revolutionary social and political reforms to modernize Turkey. These reforms included the emancipation of women, the abolition of all Islamic institutions and the introduction of Western legal codes, dress, calendar and alphabet, replacing the Arabic script with a Latin one.”
To inspire pride in the Turks, he coined racist slogans, one of which to this day, all schools, including the ones belonging to minorities, have to prominently expose: “Proud should feel the person who claims to be a Turk.” This kind of a slogan has fed feelings of racial supremacy to the Turks, while inducing an inferiority complex and fear among minority children.
Although he promulgated the Hat Law of 1925, forcing Turks to wear Western-style hats to replace the fez, he could not change what was under that hat, because he was not interested in what lay below the surface.
Hur lists a long number of laws, decrees, regulations that define Ataturk as a racist leader. Only a few examples will suffice to fully understand the true reformist side of the father of the Turks.
Thus, speaking to a group of Turkish businessman in Adana, on March 16, 1923, Mustafa Kemal (aka Ataturk) said: “Finally this land returned to its true owners. The Armenians and others have no rights here. These fertile fields belong to true Turks.”
In a decree promulgated in June 1923, all Jews, Greeks and Armenians were laid off from government and private institutions and their travel within Anatolia was banned.
An April 3, 1924 law stripped the title of all Jewish, Greek and Armenian lawyers, allowing the legal profession to be the purview of the Turks exclusively.
A law was passed on August 1, 1926 to confiscate all minority properties acquired before the Lausanne Treaty took effect (August 23, 1924).
Minister of Justice Mahmoud Essat Bozkurd announced on September 18, 1930, in the region of Eodimis: “My idea, my belief is that this land itself is Turk. Those who are not real Turks and wish to live in this country can only survive as servants or slaves.” And this is a Turkish kind of justice from a minister of justice. This kind of treatment reduced the minorities to the levels of rayas (slaves) practiced during the ages of sultans. While suppressing Islamic symbols, Kemalists enhanced the rights of Muslims and Turks over all minorities.
Therefore, it is not difficult to detect the red line, which runs throughout Turkish history from the sultans to the Young Turks and then to the Ataturk era, inherited intact by the modern Republic of Turkey.
These racist laws are still extant in Turkey. In fact, they have been codified. What is penal code Article 301, supposedly defending Turkishness, if not a muscle to silence dissidents and in the first place any one who pronounces the word “genocide?” It is under that penal code that authorities in Turkey have been persecuting and prosecuting Orhan Pamuk, Ragip Zarakolu, Hrant Dink and other scholars and journalists.
The reason these anachronistic trends and laws have survived is that the army has taken upon itself to safeguard Kemalism, or the legacy of Ataturk. Indeed, an unelected junta has assumed the perpetuation of these laws.
The feeble voices of scholars and journalists would not have been sufficient to transform Turkey from racism to civilization, were it not for the pressure exerted by the European Union.
Once Turkey attains a respectable a level of civilization then the gates of Europe may become more hospitable.
It is also our hope to deal with that kind of Turkey, because only a fully civilized nation will be able to demonstrate the courage to face its abominable history.

vendredi 20 avril 2012

La pensée stratégique russe


Interview de Jean Géronimo autour de la nouvelle édition de son livre
"La pensée stratégique russe - Guerre tiède sur l'échiquier eurasien"


Propos recueillis le 23 février 2012 (avant les élections en Russie)

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THEATRUM BELLI : Pourquoi ce post-scriptum, "Les Révolutions arabes, et après ?"

Jean GERONIMO : J’ai voulu, tout simplement, intégrer les nouveaux paramètres géostratégiques liés à la récente évolution de la conjoncture mondiale. Par nature, cette dernière modifie la perception russe de son environnement proche (régional : l’espace post-soviétique) et éloigné (international : l’espace eurasien). Dans ce cadre, il convient de rappeler que la Russie considère la Communauté des Etats Indépendants (CEI) comme "son" espace historique, placé sous sa seule tutelle politique. Pour rappel, la CEI couvre prés de 99% du territoire de l’ex-URSS et représente, depuis le honteux "coup d’Etat" de Boris Eltsine contre Mikhaïl Gorbatchev, le dernier symbole politique de l’ancien Empire communiste. En conséquence, dans la continuité du soviétisme et, en tant que puissance dominante dotée d’une certaine responsabilité, Moscou y exerce une veille sécuritaire permanente – associée, dans le même temps, à une forme de paternalisme protecteur à l’égard de ses anciennes républiques. Mais, depuis peu, sous la pression du "réveil arabe" et de ses implications périphériques, qui alimentent les revendications démocratiques et religieuses les plus extrêmes contre le "système Poutine", certaines prérogatives de Moscou tendent à être remises en cause, tant sur le plan régional qu’international. Cette nouvelle configuration a justifié ce post-scriptum de 50 pages : "Les Révolutions arabes, et après ?".

A cela, s’ajoutent trois autres raisons. D’abord, il s’agit d’une actualisation de la première version du livre, étant donné l’évolution rapide du contexte international issu des "révolutions" arabes et celle, concomitante, de la politique russe définie par sa pensée stratégique et contrainte de s’adapter. Ensuite, il s’agit de faire prendre conscience au lecteur des enjeux sous-jacents aux "instabilités" arabes, enjeux qui dépassent le cadre d’une simple crise régionale. Enfin, il s’agit d’intégrer la nouvelle menace issue d’un douteux Printemps russe encouragé, d’une part, par la contestation des processus électoraux russes et, d’autre part, par l’ingérence politique insidieuse de l’administration américaine, via de troublantes ONG. En ce sens, ces instabilités politiques et stratégiques auront un impact systémique, après le retour probable de V. Poutine au pouvoir – qui semble déranger certains groupes d’intérêt.

A terme, ces instabilités auront un impact certain et probablement, décisif, sur la hiérarchie des rapports de force internationaux. Elles ne sont, en effet, pas neutres dans leurs implications sur la partie stratégique menée entre puissances majeures et concurrentes (Etats-Unis, Europe, Chine, Russie) sur le Grand échiquier, depuis la fin de la Guerre froide. Et surtout, elles ne sont pas politiquement neutres pour l’avenir international de la Russie.

TB : Mais l’avenir de la Russie est-il réellement menacé par les velléités américaines, conformément à vos hypothèses ?

JG : A ce jour, les principales hypothèses de mon livre (première version) ont été parfaitement validées, notamment celle relative à l’idée que, sur longue période, les Etats-Unis poursuivent une stratégie de reflux de la puissance russe. Sur courte période, seul le degré de "pression" exercé par la puissance américaine à l’encontre de sa concurrente russe (voire chinoise) peut varier. Par exemple, comme l’illustre la politique actuelle de l’administration Obama, la nécessité d’un compromis américano-russe sur une question précise (bouclier ABM ou Afghanistan) peut justifier, sur une brève période, une baisse stratégique de cette pression. Dans ce cas, on peut parler d’une forme de pacte tacite entre les deux ennemis historiques dela Guerre froide – qui explique, aujourd’hui, cette "paix des braves".

Pour Washington, l’affaiblissement temporaire de la Russie post-soviétique dans sa transition vers le marché a été une "bonne chose", dans la mesure où elle a été la condition permissive de son intrusion dans son Etranger proche, en particulier dans ses périphéries européenne et centre-asiatique. Dans l’optique de poursuivre ce reflux, Washington n’hésite pas à surfer sur les récentes vagues "révolutionnaires" balayant l’Echiquier arabe et à instrumentaliser le levier nucléaire – via son bouclier ABM –, contre les intérêts russes. Conformément au schéma prédéfini par Zbigniew Brzezinski, cette stratégie "anti-russe" serait maintenue, indépendamment de la conjoncture internationale et de l’orientation politique de l’administration américaine. En conséquence, il s’agit d’un facteur inertiel de la Guerre froide, certes atténué sous l’administration Obama – rapprochement américano-russe oblige. En définitive, c’est donc dans son évolution de long terme, c'est-à-dire, dans sa configuration structurelle, que la stratégie américaine prend véritablement son sens.

Le diplomate et intellectuel français, Bertrand Fessard de Foucault – qui, au passage, m’a assuré un excellent "avant-propos" pour mon livre –, développe une analyse intéressante et originale sur la position russe face aux évolutions arabes. Il y voit, en effet, une sorte d’opportunité politique pour la Russie de s’affirmer davantage sur la scène internationale et d’y défendre sa vision du monde. Ainsi, selon lui, les "révolutions arabes" seraient un prétexte pour la Russie de se venger de ses humiliations post-soviétiques et de légitimer son statut de grande puissance réémergente, en s’opposant à "l’occidentalisation du monde" – et, par ce biais, au modèle américain. Dans cette hypothèse, la Russie post-communiste se transformerait en puissant levier de préservation du statu-quo international. Cette vision me semble d’autant plus crédible, donc scientifiquement pertinente, que Fessard de Foucault a une parfaite compréhension de la psychologie des dirigeants post-soviétiques – sans doute, son expérience comme premier ambassadeur de France au Kazakhstan, de 1992 à 1995, et son intimité avec le président Nazarbaïev et d’autres responsables de l’ex-URSS – ses contacts avec Andreï Gratchev et Mikhaïl Gorbatchev –, ont favorisé cette remarquable connaissance du "monde russe". Pour affirmer son identité internationale, la Russie aurait donc "besoin" de s’opposer, en priorité, à son ennemi systémique et, en définitive, d’évaluer sa puissance par rapport à ce dernier. En cela, son opposition à l’Amérique est régulatrice.

De manière générale, l’exacerbation des crises arabes et la mise en œuvre du bouclier anti-missiles américain traduisent, de facto, un recul prononcé de la puissance russe. Pour rappel, l’ABM américain (global) a une visée mondiale et il s’appuie sur sa composante européenne (régionale), dans le cadre de l’OTAN. La proximité de ce bouclier, par rapport à l’espace post-soviétique, heurte la sensibilité des dirigeants russes et renforce leur sentiment d’être – à l’instar des anciens dirigeants communistes – une cible potentielle. En ce sens, il s’agit, aussi, d’une guerre psychologique.


TB : C'est-à-dire ? En quoi le bouclier ABM s’oppose t’il aux intérêts russes ? En quoi représente-il une menace ?

JG : La gestion de la composante européenne (otanienne) du projet ABM, sous l’impulsion de Washington, est perçue par Moscou comme une stratégie manipulatoire, visant à endormir sa vigilance et, au final, ne tenant pas réellement compte de ses objections. En conséquence,la Russie a le sentiment d’être "menée en bateau" depuis le début des négociations entamées lors du sommet OTAN-Russie de Lisbonne, en novembre 2010. Quelque peu dépitée, Moscou vient de reconnaître que ces négociations n’avaient servi à rien. Un véritable dialogue de sourds – et même, plus probablement, un "jeu de dupes" dont la seule victime serait, en définitive, la Russie. Une fois de plus.

Officiellement, l’administration américaine a d’ailleurs affiché sa détermination à exécuter son projet anti-missiles, en dépit des protestations russes et quel que soit son impact sur les grands équilibres géostratégiques. C’est ce que V. Poutine, depuis son discours de Munich de 2007, a qualifié de réflexe de Guerre froide au service de "l’unilatéralisme" de la puissance américaine et de ses aspirations hégémones. Cinq ans plus tard, en 2012, le président Medvedev a dénoncé la capacité du bouclier anti-missiles à briser les équilibres stratégiques dans le monde et en ce sens, à devenir un facteur d’instabilité globale. Il est principalement reproché à l’axe OTAN-USA de refuser d’intégrer la Russie au projet ABM dans l’optique d’un bouclier commun, comme si celle-ci restait "l’ennemi" latent de la Guerre froide. Et comme si, finalement, après l’inquiétante et illégitime extension de l’OTAN aux portes de la Russie – absorbant, de manière provocante, ses ex-alliés de l’ère communiste –, la stratégie anti-missiles de Washington poursuivait, de manière inéluctable, la marginalisation de l’ancienne superpuissance.

L’ABM touche un point sensible de la vision stratégique russe. Il heurte les représentations politico-psychologiques des dirigeants du Kremlin dans leur approche de la fonction politique de l’arme nucléaire, structurante de leur identité internationale. C’est grâce à l’atome, un temps "rouge" – par référence à la période communiste –, que la Russie soviétique et post-soviétique a pu préserver une certaine "présence" sur la scène mondiale, en dépit des tentatives américaines de compression de la puissance russe. Dans le cas où les autres solutions ont été "épuisées", la Russie n’hésitera pas à se défendre au moyen de l’atome face à toute agression extérieure – même non nucléaire –, si son intégrité territoriale et, plus globalement, ses intérêts nationaux, sont menacés. Cela est souligné par sa doctrine militaire, comme l’a rappelé, Nikolaï Makarov, chef d'Etat-major général des forces armées russes, le 15 février 2012 à la radio Echo de Moscou : "notre doctrine militaire indique clairement les conditions selon lesquelles nous avons le droit d'utiliser les armes nucléaires. Si l'intégrité de la Russie s'avère menacée, nous pouvons avoir recours aux armes nucléaires et nous le ferons". Cette configuration explique la réaction russe, de nature défensive, face au projet américain d’extension de son système ABM en Europe – contrairement aux perceptions occidentales d’une attitude désespérément hostile (donc offensive) dela Russie. Les vieux réflexes sont toujours là…

Depuis l’intervention "musclée" du président Medvedev du 23 novembre 2011, menaçant les Etats-Unis de mesures de rétorsion face au maintien d’une telle stratégie, le bouclier est officiellement considéré comme une menace majeure pour la sécurité nationale de la Fédération de Russie. En effet, en termes stratégiques, il aurait pour principale conséquence d’annihiler la logique de dissuasion nucléaire russe, structurée sous le soviétisme et, en cela, de porter atteinte à son statut historique de grande puissance – donc, de déstabiliser ses repères identitaires. Le 3 février 2012, V. Poutine a d’ailleurs reconnu le caractère structurellement "anti-russe" du bouclier américain : "Actuellement, la défense anti-missiles (américaine en Europe) vise certainement à neutraliser le potentiel nucléaire russe". Terribles angoisses russes.

En théorie, selon la version officielle, l’ABM vise à protéger l’Europe des missiles tirés par les "Etats voyous" (rogue states) de l’axe du mal, principalement la Corée du Nord et l’Iran. En pratique, la simple lecture d’une carte montre, sans aucune ambigüité, que la Russie est "encerclée" sur ses frontières occidentales – donc implicitement visée – par la ceinture anti-missiles de l’ABM otanien. Cette ceinture défensive devrait être d’ailleurs prolongée en méditerranée, par l’intermédiaire de systèmes Aegis installés sur des navires de guerre américains qui renforcent la mobilité, donc la souplesse du nouveau dispositif anti-missiles et le rendent particulièrement redoutable. Cette orientation "anti-russe" du bouclier apparaît clairement dans la nouvelle carte de l’encerclement insérée dans la seconde édition de mon ouvrage. Le plus troublant est que d’autres implantations des éléments avancés du système ABM étaient possibles, tout en étant plus efficaces dans leur fonction théorique (structurée contre l’axe du mal) et, en définitive, moins menaçantes pour la Russie. Mais, sans doute, cette alternative laissait-elle un droit de regard russe – inadmissible pour Washington – dans le fonctionnement du bouclier. Dans sa version actuelle, le positionnement des unités de l’ABM me laisse songeur, tout comme il laisse perplexes les responsables russes. A juste titre.

Dans le meilleur des cas, il faudrait que les missiles iraniens fassent un incroyable détour pour venir s’empêtrer dans les mailles du bouclier otanien. Scénario absolument surréaliste, si ce n’est absurde.


TB : Quelle est la position russe face aux "révolutions" arabes ? Sont-elles perçues comme une opportunité ou comme une menace pour les intérêts nationaux de la Russie ?

JG : Dans la vision stratégique russe et sa perception des menaces, il s’agit de distinguer 2 termes :

- A court terme, les crises arabes se traduisent incontestablement par un déclin de l’influence russe. A cet égard, la Syrie, qui possède une base russe, est le dernier "bastion" de Moscou dans la région. Pour cette dernière, la Syrie joue un rôle régional vital en tant que verrou sécuritaire. Le rôle de l’Etat syrien semble d’autant plus décisif qu’il permet de contenir les tensions frontalières dans une zone potentiellement explosive et, surtout, touchant les intérêts russes. La Russie estime avoir déjà trop reculé sur l’Echiquier arabe, et elle ne laissera pas se dérouler un second "scénario libyen", où le Conseil de sécurité de l’ONU a été instrumentalisé pour autoriser une intervention militaire, via l’OTAN. Dans le prisme russe, l’épisode libyen reflète une lecture à deux vitesses des lois internationales auto-légitimée par l’actuelle gouvernance. De même, dans le cas syrien, l’idée d’instaurer des "couloirs humanitaires" est vue avec suspicion par Moscou, qui craint leur utilisation à des fins militaires dans une étape ultérieure – à l’instar de scénarios préalablement expérimentés avec succès dans le cadre d’autres situations conflictuelles, notamment à la fin des années 90 dans les Balkans et, aujourd’hui, au Moyen-Orient (en Libye). Moscou condamne aussi une lecture des droits de l’homme à géométrie variable. Elle condamne, surtout, l’ingérence étrangère au nom de la Démocratie, devenue l'idéologie informelle et implicite de la gouvernance mondiale néo-libérale, avide de répandre ses nobles valeurs – en dépit d’énormes et irréversibles dégâts "collatéraux".

- A long terme, Moscou redoute une "contagion révolutionnaire" risquant de déstabiliser son ancien espace impérial considérablement fragilisé, à son grand Sud, par l’avancée américaine et la montée des crises identitaires attisées par le retour du "religieux". Elle craint, en particulier, une relance des mouvements nationalistes d’inspiration religieuse et, dans le même temps, l’intensification du terrorisme lié à la "menace islamique" – c'est-à-dire l’Islam radical, selon la terminologie des dirigeants russes. A cet égard, on soulignera que l’Asie centrale (en périphérie post-soviétique), le Caucase et l’Oural (en Russie) sont devenus de véritables poudrières ethno-religieuses. Pour rappel, on précisera que les musulmans représentent 14% de la population russe (soit 20 millions d’individus) et cela incite Moscou à penser que des manipulations extérieures, en vue de courtiser cette couche sensible et fragilisée de la population, sont possibles. La Russie a le sentiment de ne pas être écoutée, et, encore moins, comprise par un Occident trop souvent donneur de leçons. Par son attitude naïve et irresponsable, ce dernier ne fait qu’attiser les revendications extrémistes et, par ce biais, affaiblir le Pouvoir central russe. Mais, peut-être, n’est-ce pas là qu’une pure "maladresse" ? Et peut-être, en définitive, une stratégie consciente, donc programmée – une stratégie qui ne dit pas son nom. A l’instar de ce qui s’est passé sousla Guerre froide.

Moscou garde en mémoire le scénario troublant des révolutions dites "de couleur" qui ont précipité, dans les années 2000, son recul dans son Etranger proche. Moscou se souvient, aussi, de l’insidieuse stratégie mise en œuvre par Brzezinski pour "accélérer" de telles évolutions, comme elle se souvient de l’action décisive de ce dernier, en pleine Guerre froide, dans l’élaboration d’une ligne "anti-russe" patiemment poursuivie depuis – sous des formes certes politiquement correctes, avec l’arrivée d’Obama. A l’époque, Brzezinski n’a pas hésité à instrumentaliser le facteur religieux – ce qu’il a appelé, un temps, les "excités islamistes" – pour déstabiliser le pouvoir russe à sa périphérie et l’enliser dans des conflits économiquement ruineux, qui ont précipité la fin de l’URSS. Aujourd’hui, Moscou redoute l’émergence de nouveaux conflits périphériques, davantage régionalisés et "stimulés" de l’étranger, dans la partie de l’espace post-soviétique qui lui est restée "fidèle". Dans ce cadre, et avec une certaine légitimité, on peut s’interroger sur la spontanéité des évolutions arabes actuelles, dont l’impact sera déterminant pour le cheminement politique futur de la société russe – donc, pour les équilibres intra-eurasiens et la stabilité du monde. En toute logique.

Dans ce contexte délicat, Moscou est sur la défensive et surtout, redoute le pire – après les "révolutions" arabes. Désormais,la Syrieconcentre ses peurs.


TB : Et les élections présidentielles russes approchent. Cela rend particulièrement nerveuse la direction actuelle du pays…

JG : Oui, Moscou redoute une ingérence politique occidentale, principalement américaine, via les ONG sous son contrôle et chargées, en théorie, de "veiller" à la bonne marche des procédures électorales. Cette forme atténuée de "paranoïa politique" peut se comprendre et, même, se justifier.

Lors des récentes législatives russes de décembre 2011, la contestation anti-Poutine a été, en effet, catalysée par le rôle d’ONG russes sous influence étrangère (via leur source de financement), comme GOLOS ("Voix") – symbole emblématique du nouveau mode "d’influence" américain post-Guerre froide. Peu avant les élections, cette ingérence a été parfaitement anticipée par Vladimir Poutine qui a fustigé, au cours d'un congrès de Russie unie, le 27 novembre 2011, le financement d'ONG russes par des puissances étrangères ayant pour but "d'influencer le cours de la campagne électorale dans notre pays". L’administration américaine n’hésite plus, désormais, à s’ingérer de manière très "directe" dans les affaires intérieures russes, par l’intermédiaire de ses organisations-relais chargées de répandre les "bonnes manières" démocratiques – c'est-à-dire, les valeurs issues de la mondialisation néo-libérale triomphante depuis le début des années 80. Et cela ne choque même plus.

Cette ingérence est démontrée par l’initiative provocante de Michael McFaul, nouvel ambassadeur des Etats-Unis en Fédération de Russie. Le 17 janvier 2012, peu de temps avant la nouvelle mobilisation anti-Poutine du 4 février, McFaul a invité plusieurs leaders de l’opposition à V. Poutine pour les écouter mais aussi, surtout, distiller quelques précieux "conseils". Etrange et hétéroclite coalition caractérisée d’abord par l’absence totale d’unité, ensuite par l’association des extrêmes (gauche communiste et droite fascisante) et enfin, par l’absence de programme politique alternatif à celui du pouvoir. Parmi ces honorables "invités", on remarquera principalement : Boris Nemtsov, leader de "Solidarnost" et du "Parnas" (Parti de la liberté du peuple), Serguei Mitrokhine, leader du Parti libéral IABLOKO et Lilia Chibanova, responsable de l’ONG GOLOS chargée du monitoring des élections et financée par NED !. De manière globale, on notera le rôle politique et l’influence quasi-structurelle d’institutions liées à l'administration américaine (USAID, NED) dans la structuration des velléités démocratiques des peuples – comme un droit de regard de l’hyper-puissance américaine sur le reste du monde, au nom de sa légitimité post-Guerre froide issue de sa victoire finale contre le communisme. Et cela, dans la continuité du monde unipolaire, nourri par son néo-impérialisme latent.

Le plus inquiétant est que, de manière très officielle, l’administration américaine a prévu de renforcer son aide aux ONG chargées de contrôler la transparence et la légalité des élections présidentielles russes du 4 mars 2012. Comme si, au nom d’une mission "manifeste" confiée par l’histoire, l’Amérique s’était auto-attribuée un devoir moral d’ingérence transnational, émancipé des lois internationales et lui permettant d’agir selon ses seuls intérêts, en toute impunité. Cela a conduit V. Poutine à suspecter – avec raison – de futures manipulations américaines visant à le déstabiliser, dans la mesure où Washington ne souhaite pas son élection et mettra tout en œuvre pour s’y opposer. Car tous les coups sont permis sur le Grand échiquier. Tendanciellement, en tant que levier de l’axe eurasien contestant l’hégémonie américaine et aspirant – avecla Chine – à la multipolarité mondiale,la Russie de Poutine représente en effet une menace "soft" pour cette dernière, fondamentalement opposée à ses objectifs de long terme en Eurasie.

Dans le prisme russe, cette opposition serait encore plus forte dans l’hypothèse d’un retour des républicains américains au pouvoir, fin 2012 – qui perçoivent la Russiecomme un redoutable contre-pouvoir, structurellement hostile. Mitt Romney, le candidat à la présidence américaine, vient d’ailleurs de reconnaître que la Russie restait l’ennemi géopolitique numéro un des Etats-Unis. Mauvais cauchemar pour Moscou.


TB : Le 4 mars 2012 pourrait-il précipiter, ce que certains appellent – et espèrent – un "Printemps" russe ?

JG : L’idée d’un Printemps russe est idéologiquement connotée et présuppose, de manière implicite, l’existence d’une dictature sanguinaire – en référence à celle de Kadhafi – dans le prolongement du totalitarisme stalinien. Au regard du fonctionnement concret du système politique russe, cette hypothèse est totalement invalidée et révèle, plutôt, une aberration intellectuelle. A moins d’être parfaitement conditionné par l’idéologie de la pensée unique, imposée par la gouvernance néo-libérale et relayée par les médias occidentaux – ou, d’être totalement aveuglé par le soleil arabe…

Certes, la Russiene correspond pas aux normes démocratiques de l’Occident. Mais on fera remarquer que les monarchies pétrolières du Golfe, très liées aux Etats-Unis, le sont encore moins et montrent, pourtant, une étonnante stabilité – tout en bénéficiant d’une forte "respectabilité" diplomatique. Le fait même que les dirigeants du Qatar et d’Arabie saoudite, avec le soutien turc, aient demandé une intervention armée étrangère en Syrie laissera perplexe tout observateur impartial et, au moins, incitera tout citoyen critique et attaché aux "valeurs démocratiques" à une profonde réflexion… Quoi qu’on en dise, il existe une forme de représentation politique et d’expression pluraliste en Russie et on peut y manifester allègrement, avec des slogans anti-gouvernementaux, sans être jetés dansla Seine, comme en France, ou matraqués par des policiers zélés, comme aux Etats-Unis et comme, il y a peu, en Grèce – au nom de la rigueur financière et de l’orthodoxie néo-libérale, guidée par la rationalité du marché. On n’y est pas encore en Russie, "malgré" Poutine – et, sans doute, selon moi, grâce à lui.

La situation russe est plus complexe et doit être appréhendée avec plus d’intelligibilité dans sa lecture structurelle. On ne peut, en effet, lui appliquer un modèle politique préfabriqué et répondant, avant tout, aux intérêts de grandes puissances formant une véritable "élite" internationale. Dans un autre contexte, celui de la transition post-communiste du début des années 90, on a vu l’application désastreuse du modèle du Consensus de Washington et de son idéologie anti-étatique, provoquant un brutal recul économique et social de la Russie – sanctionnée, notamment, par une décroissance (croissance négative) entre 1994 et 1998. Jacques Sapir l’a parfaitement montré dans son livre de 1996, Le Chaos russe. En fait, contrairement à la position critique et idéologiquement douteuse d’Edouard Limonov, leader du mouvement d’opposition L’Autre Russie, le modèle russe me semble tout simplement adapté à un contexte spatio-temporel particulier, structuré par son histoire idéologique et sociale. Je préfère parler de Démocratie orientée, adaptée aux contraintes multidimensionnelles d’un Etat-continent pluriethnique menacé par des forces centrifuges et permettant une relative stabilité unitaire de la société russe. Pour comprendre la Russie renaissante du XXIe siècle, il faut d’abord comprendre son passé tourmenté, parfois douloureux, mais exceptionnel et oh combien attachant. Il faut la « lire » de l’intérieur, sans les traditionnels a priori politiques et culturels des observateurs occidentaux – une sorte de prisme idéologique déformant. Car, comme l’a souligné le journaliste-écrivain Jean-Marie Chauvier, spécialiste incontournable sur cette question,la Russie reste un monde "à part".

Encouragée par la vague "révolutionnaire" du Printemps arabe, la configuration géopolitique actuelle jette donc les bases d’une Guerre tiède, au cœur de l’Echiquier eurasien. En tant que forme atténuée de la Guerre froide grevant l’ancien espace communiste, cette guerre d’un nouveau type est centrée sur le contrôle des Etats présentant un intérêt stratégique sur les plans politique et économique (surtout énergétique) – ce que Brzezinski, dans son livre, Le Grand échiquier, appelle les "pivots géopolitiques". La dimension stratégique de ces Etats "pivots" s’expliquerait par leur capacité à être utilisés par l’administration américaine comme levier d’influence et de pression sur les Etats situés dans leur périphérie régionale, c'est-à-dire en zone post-soviétique. Autrement dit, leur poids géopolitique tient davantage à leur puissance potentielle (et non réelle) – donc, à leur influence extérieure virtuelle – liée à leur situation géographique sensible, à leur capacité de nuisance et à leur position au croisement de routes stratégiques. En définitive, ces Etats sont des pièces maîtresses dans la stratégie eurasienne de l’administration américaine conduite sur le long terme à l’échelle de l’ancienne zone de domination soviétique et, dans cette optique, ils sont structurellement manipulés.

Aujourd’hui, sous la bienveillance occidentale, toutes les conditions semblent réunies pour une remise en cause de l’ordre politique russe et, plus précisément, du "système Poutine". Toutefois, même éblouie par le soleil radieux de la démocratie américaine, une hirondelle arabe ne fera pas le Printemps russe. Aux yeux de Vladimir Poutine, l’arrivée précoce d’un Printemps islamiste, potentiellement déstabilisateur pour l’unité et la viabilité de l’ancien Empire apparaît, désormais, comme la principale menace – pourla Russie, l’Eurasie, et donc aussi, sans doute, pour le monde. Nourrie par les instabilités arabes, cette menace s’accentuera après les présidentielles russes. Forcément.

Entre les principaux acteurs géostratégiques de l’Eurasie, la partie d’échecs continue donc – via les "révolutions" arabes. Et après ?

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Jean Géronimo, universitaire pluridisciplinaire (Pierre Mendès France - Grenoble II), est régulièrement publié dans des revues et sites géopolitiques russes, français et italiens. Il s’intéresse, en complète indépendance, à l’évolution de la Russie et de sa zone d'influence historique, devenue son « Étranger proche ».

Cliquer ICI pour se procurer l'ouvrage (Éditions Sigest, 176 pages, 14,95 €)

mercredi 4 avril 2012

La crise syrienne et ses dangers




La crise syrienne et ses dangers 

 

Concernant la crise syrienne, la communauté internationale s’est accordée tacitement sur trois points : pas d’intervention militaire, pas de renversement du régime par la force, pas d’armement de l'opposition. Le président Bachar al-Assad et ses alliés russes, iraniens et chinois ont imposé une nouvelle équation mondiale qui a mis les supporters de l’opposition armée, menés par l'Arabie saoudite et le Qatar, dans une situation peu enviable.

Une année après le début de la crise syrienne, le climat a changé. Le régime a accompli des percées militaires et diplomatiques, et les 71 pays qui se sont réunis à Istanbul, hier, ne semblent pas pouvoir le faire chuter.

Et c’est sans doute parce que le climat a changé qu’un certain nombre de dirigeants arabes adressent leurs lettres confidentielles à Damas dans le but de rechercher des solutions. Des informations circulent sur une éminente personnalité saoudienne rapportant à ses interlocuteurs les remarques royales teintées d’une certaine irritation, suite aux déclarations de son ministre des Affaires étrangères Saoud al-Fayçal. Il se dit que le roi Abdallah n’a jamais voulu de toute cette implication dans les affaires syriennes même si, comme beaucoup d’autres arabes, il ne souhaitait que mettre fin, et au plus vite, aux opérations militaires en Syrie.

D’autres informations concernent le Bahreïn qui a récemment envoyé des messages positifs à Damas ; certains de ces messages exprimant le souhait de la voir contribuer à calmer la situation au Bahreïn même. Des lignes sécuritaires s'étendraient ainsi de Manama à Damas, en direction de Téhéran.

Quant à la famille princière du Koweït, elle a fait savoir à Damas qu'elle n'a jamais oublié le soutien de feu le président Hafez al-Assad lors de l'invasion du Koweït par l'Irak, et que les pressions exercées par le Mouvement Islamique koweïtien n’ont pas empêché certaines personnalités au pouvoir de dire que la chute d’Al-Assad n'était pas de mise.

De leur côté, les Émirats arabes unis (EAU) ont commencé à réfléchir sérieusement aux moyens pouvant faciliter leur médiation entre l'Autorité et l’opposition intérieure syriennes. Un responsable qui n’est autre que l’un des fils du défunt Président Cheikh Zayed a déclaré : «Nous sommes conscients de l'impossibilité de la chute du régime syrien, nous voulons vraiment arrêter l'effusion de sang, nous considérons qu’il est impératif qu’un véritable dialogue s’instaure entre l’entourage d’Al-Assad et l'opposition de l'intérieur, parce que cela donnera des signaux importants vers l'intérieur et l'extérieur à la fois, et nous sommes prêts à y participer ».

Il est à noter que le ministre des Affaires étrangères des EAU s’est rendu à Téhéran fin Février, et que les discussions ont essentiellement porté sur le dossier syrien ; sans oublier la situation de de la communauté iranienne forte de 500 000 âmes et dont les investissements s’élèvent à plus de 300 milliards de dollars.

Le même responsable émirati cité plus haut a ajouté : « Il nous faut souligner que les déclarations intempestives des pays du Golfe au sujet de la Syrie n’ont commencé qu’après la flambée des problèmes au Bahreïn ; les Saoudiens mettant en avant des informations selon lesquelles le Hezbollah alimentait la crise à la demande de l'Iran et que Damas n'avait rien fait pour les freiner »... Or, il se trouve que jusqu’ici, les forces de sécurité des pays du Golfe, menées par l'Arabie saoudite, n'ont pas réussi à calmer la situation au Bahreïn. Par conséquent, là aussi il y a nécessité de médiation.

Récemment, et toujours dans la région du Golfe, sont entrés en ligne les affrontements verbaux entre le chef de la police de Dubaï, le lieutenant-général Dahi Khalfan, et le cheikh Yusuf Al-Qaradawi. Khalfan a délibérément pointé le doigt sur ​​la gravité de la progression des Frères Musulmans vers les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Il a été suivi en cela par le gouverneur de Charjah qui a vivement critiqué les Frères Musulmans et Al-Qaradawi. Il est donc certain que le Qatar n’entend pas d’une oreille satisfaite toutes ces voix golfiques qui s’expriment ouvertement contre ses alliés islamistes.

A tout ce qui précède, il faut ajouter l’attitude toujours implicitement positive du Sultanat d'Oman à l’égard de Damas et de Téhéran, et le fait que le 17 Février, le Premier ministre mauritanien a adressé à son homologue syrien un message insistant sur le sentiment fraternel et l’amitié entre les deux pays. Les Mauritaniens, qui n’ont pas bien accueilli l’émir qatari lors de sa dernière visite à Nouakchott, considèrent que le Qatar a contribué à alimenter l'opposition contre leur président Mohamed Ould Abdel Aziz, « l’un des soutiens fondamentaux de la résistance arabe ».

Si les positions de ces pays étaient ajoutées à celles de l'Egypte, de l'Algérie, de l'Irak, et d'autres… elles démontreraient que les positions des pays arabes envers la Syrie sont tout à fait différentes selon qu’elles sont considérées superficiellement ou en profondeur.


Sommet de Bagdad : un choc pour le Qatar et l'Arabie saoudite

La représentation réduite de l’Arabie saoudite au sommet de Bagdad, et les déclarations dangereuses du Premier ministre qatari concernant « la marginalisation des sunnites » en Irak permettent de conclure que Riyad et Doha voient dans le gouvernement de Nouri al-Maliki un allié indéfectible de l'Iran et de la Syrie et se doivent de le traiter en conséquence. Mais, le gouvernement et les oulémas irakiens dirigés par le Cheikh Khaled Abdul-Wahab Al-Mulla n’ont pas tardé à répondre d’une façon plutôt cinglante au Cheikh Hamad bin Jassem bin Jabor Al-Thani.

En conséquence et suite à l’absence d’une animosité unanime des arabes envers la Syrie, aux messages confidentiels de certains d’entre eux à Damas, et au règlement sous-jacent de la crise syrienne entre la Russie et les États-Unis ; il n’est pas surprenant de constater que le Sommet de Bagdad se soit soldé par une déclaration exempte de toute référence à la démission du Président Al-Assad et à la fourniture d’armes aux opposants. Les arabes ont reculé et ont accepté le plan de Kofi Annan en ses six articles, dont le premier souligne la nécessité d’«un processus politique global mené par les Syriens». En d'autres termes, Bachar al-Assad est un élément essentiel du règlement de la crise syrienne !


Les prises de position internationales sont ressenties comme une grande trahison par l'Arabie saoudite et le Qatar. Eux, qui ont appelé lors d’une conférence de presse et par la voix de leurs ministres des Affaires étrangères à « armer l'opposition syrienne », se retrouvent dans une situation pas très confortable depuis que leurs alliés américains ont répondu par la négative. Washington est allé plus loin encore. Non seulement elle a accusé Al-Qaïda d'avoir infiltré l'opposition ; mais elle a aussi passé un accord avec l’hôte turc, M. Erdogan, l’invitant à se contenter de ne parler que de l’envoi de fournitures médicales et de certains équipements de communications dans différentes régions syriennes.

L’accord américano-russe

D’après un diplomate russe en relation étroite avec Damas : « Le récent sommet entre les présidents américain et russe a ouvert la voie à plusieurs nouvelles perspectives. De plus, lors d’une rencontre entre les deux présidents, Barack Obama aurait demandé à Dimitri Medvedev que Moscou calme le jeu jusqu'aux élections américaines et lui aurait promis, qu’après cette date, il se presserait pour réactiver ses principes politiques premiers annoncés pour son mandat en cours ; ceux qui consistaient à rechercher les solutions plutôt que les conflits face aux problèmes internationaux »
[*]. Non seulement le problème du bouclier antimissiles, mais aussi les dossiers iranien, syrien…

Ce diplomate russe affirme qu'il n'y aura pas de guerre contre l'Iran, et que le projet de renverser le Président Al-Assad est parti pour ne plus jamais revenir : «Nous sommes à l'étape du règlement politique de la crise syrienne, mais maintenant le plus important est de convaincre l'opposition d'accepter un tel règlement».

La logique russe veut que ce soient les Syriens eux-mêmes qui choisissent leur mode de gouvernance et le président qu’ils souhaitent. Et c'est exactement ce qu’a entendu M. Erdogan en Iran, où on lui a clairement dit que la Turquie avait adopté une option erronée car une proportion importante du peuple syrien estime toujours le président Al-Assad, et qu’il vaudrait mieux pour lui de s’en remettre aux résultats des urnes.

Ce n’est pas par hasard que M. Kofi Annan a été choisi pour résoudre la crise syrienne. Il est attendu de cet ancien Secrétaire général de l'ONU qu’il incarne la «convergence des intérêts» internationaux. Le veto russe a déjà interdit, et interdira encore, toute décision qui se limiterait à faire peser la responsabilité des violences sur le seul régime syrien, ou qui exigerait la chute du gouvernement de Bachar al-Assad.

Lors de sa rencontre avec le Président syrien, Kofi Annan a bien compris que le plan de la Ligue arabe s’était fracassé contre le rocher damascain. Al-Assad a clairement dit qu'il recevrait Annan en tant qu’émissaire international, non en tant que chargé d’une mission commune à l’ONU et Damas. Annan a accepté le principe. Juste avant le sommet de Bagdad, Damas a réitéré sa position par la voix de Jihad Makdisi, porte-parole du ministère des Affaires étrangères : Damas n’a aucune obligation de respecter les décisions édictées par la Ligue arabe et ce, quelles qu’elles soient !

Il n'est plus question de revenir aux décisions de la Ligue arabe. Damas le refuse. Les responsables du gouvernement syrien considèrent que toutes les décisions prises par les arabes ont été dictées par la volonté du Qatar appuyé ensuite par l'Arabie saoudite, et que ce qui a été accepté avant l'entrée dans Baba Amr et Homs ne pouvait plus être accepté aujourd'hui. Al-Assad a dit explicitement à M. Annan qu'il est ouvert au dialogue avec l'opposition, mais que ce dialogue devait avoir lieu en Syrie et sous l’égide des Syriens.

Baba Amr : l’avant et l’après

La visite d'Al-Assad à Baba Amr avait trois buts essentiels: affirmer la puissance de l'Etat, défier ceux qui menacent la sécurité surtout après les attentats de Damas et d'Alep, et surtout s’adresser aux citoyens sunnites pour leur dire qu’une fois la sécurité revenue, il ne sera pas question de vengeance mais de « reconstruire en mieux ». C’était là un message important pour guérir un tant soit peu les blessures des batailles sectaires vécues par la ville de Homs.

Cette visite à Homs s’est poursuivie par des entretiens avec des chefs religieux druzes et une visite au village de Kanawat dans la région de Sweida ou le Président a présenté ses condoléances pour la mort du Cheikh Ahmed Salman Al-Houjari, l’un des trois cheikhs Akl druzes, et a reçu la visite de l’ancien député libanais druze, Daoud Fayçal, après celle de l’ancien ministre Wiam Wahab.

Ces jours-ci, celui qui visiterait Damas ne pourrait omettre de remarquer la grande confiance en soi des responsables syriens et leur inquiétude sensiblement atténuée quant à d’éventuels mouvements libanais dirigés contre eux. Certains Cheikhs du Nord-Liban dont le Cheikh Bilal Chaaban, qui ont visité Damas récemment, ont constaté la solidité de l'État syrien. Lorsqu'on les interroge sur Walid Joumblatt, leur réponse est concluante: «Il sait exactement ce qu'il a fait contre la Syrie l’année dernière et que ce faisant, il a mis la sécurité nationale en danger. Désormais, nos alliés du Hezbollah ont compris que le ramener en Syrie, comme ils l’ont déjà fait, n'est plus acceptable».

Le Liban n’entre pas actuellement dans les calculs stratégiques de la Syrie. Il a été ramené dans la catégorie «espace de sécurité». La priorité est désormais de mettre fin à la bataille militaire, et d'accélérer l'ouverture politique à l’occasion des prochaines élections. Ce n’est qu’ensuite qu’il sera possible de s’intéresser à la situation au Liban, mais cette fois sur la base suivante : «certains ont contribué à l'effusion du sang syrien».

BRICS et équilibres internationaux

Les Syriens s’intéressent de près aux pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et aux sommets organisés par le Président iranien avec les pays voisins : l'Afghanistan, le Tadjikistan et le Pakistan. Il se dit que l’expression «effacer l'Europe» de la carte, prononcée par le ministre des Affaires étrangères Walid Mouallem, n’a pas été prononcée sous l’effet de la nervosité mais à la lumière des évolutions spectaculaires du monde vers la multipolarité.

Les pays du BRICS représentent 40% de la population mondiale, et entre 18% et 20% de la production mondiale. La Chine dépassera les USA avant 2020. L'Inde pourrait devenir le premier centre économique mondial dans moins de 30 ans. Le Brésil occupe la place de la Grande-Bretagne. Les USA pourraient reculer en troisième position mondiale, selon le « Wealth report ». Ce rapport indique aussi que la part de la contribution fondée sur le Produit National Brut passera de 41% en 2010 à moins de 18% en 2050 pour les pays d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale, alors que la contribution des pays d'Asie passera de 27% actuellement à plus de 49% en 2050.

Plus grave encore, l’intention des pays du BRICS de travailler à créer une monnaie unique après avoir institué leur Banque centrale. Ils refusent, implicitement, le monopole de New York sur les échanges des fonds Mondiaux, comme ils refusent la domination des USA sur l’ONU et les institutions financières internationales.

Par conséquent, si l’on intègre le fait que Barack Obama, en personne, demande au Président russe de calmer le jeu jusqu’aux prochaines élections et prépare des solutions pour le problème du bouclier antimissiles ; il devient clair que la scène internationale est plus qu’importante pour la résolution de la crise syrienne. Il ne faut pas oublier que Medvedev soutient la Syrie ainsi que le prochain président Vladimir Poutine, qui a déclaré en Novembre dernier que la Russie envisageait de déployer ses missiles dans la région de Kaliningrad limitrophe de la Pologne et de la Lituanie, et de les orienter vers les sites américains de défense antimissiles.

La Russie fait désormais partie intégrante de la campagne électorale américaine. Le président du sous-comité des forces stratégiques de la commission des forces armées près la Chambre des Représentants, Michael Turner, et le superviseur des systèmes de défense antimissiles ont mis en garde Barack Obama contre toute complaisance à l’égard des Russes ; ainsi que le candidat républicain Mitt Romney qui a considéré la Russie comme l’ennemi stratégique numéro un. Ce à quoi Medvedev a répondu en disant qu’il aurait besoin de réfléchir avant de parler.

L'internationalisation, sans doute et plus que jamais, a servi Al-Assad. Quant au Conseil National Syrien (CNS) qui, d’après les déclarations de Haytham Manna et Michel Kilo, a commis l’erreur grossière d’opter pour les armes et l’armement des opposants ; il paraît coincé entre les Arabes et les Turcs incapables d’avancer et le début des transactions américano-russes désormais indispensables.

Hier, les déclarations de M. Erdogan à Istanbul, le bégaiement de Nabil al-Arabi prononçant son discours, la déception de Bourhan Ghalioun, et l'absence de toute allusion du ministre des Affaires étrangères qatari au renversement d’Al-Assad et à l’armement de l'opposition, sont autant de preuves qui confirment que le jeu des nations a triomphé une fois de plus et que les Arabes, comme d'habitude, sont restés sur le bord de la route.

On pourrait penser qu’Al-Assad a gagné la bataille militaire et a réussi à ériger un bouclier diplomatique russe autour de lui, mais ses adversaires vont intensifier leur pression armée, les attentats et les assassinats ; et ceux qui sont lésés par sa victoire militaire et diplomatique vont aller encore plus loin dans les sanctions, pour étrangler économiquement la Syrie et ramener le dossier syrien devant le Conseil de sécurité ; d’où la nécessité d’initier une véritable réconciliation et d’élargir la base de la participation au pouvoir. Seule cette solution permettra de sauver l'avenir du pays. Celle de rechercher et multiplier les contacts pour convaincre l'opposition de l'intérieur de déclarer publiquement qu’elle accepte le règlement politique.


Sami Kleib
02/04/2012
Article proposé et traduit par Mouna Alno-Nakhal (Biologiste)

Sami Kleib, journaliste libanais de nationalité française, est diplômé en Communication, Philosophie du Langage et du Discours Politique. Il a été Directeur du Bureau du journal As-safir libanais, à Paris, et Rédacteur en chef du Journal de RMC-Moyen Orient. Responsable de l’émission « Visite spéciale » sur Al-Jazeera, il a démissionné en protestation contre la nouvelle orientation politique de cette chaîne.
Source :



Poutine veut un monde multipolaire

" Poutine veut un monde multipolaire pour contester l’hégémonie américaine "


Syrie, Afghanistan, anciennes républiques soviétiques, BRICS et liens avec l'Otan: les domaines d'intervention de l'actuelle politique étrangère de Vladimir Poutine ne manquent pas. Pour Jean Géronimo, Docteur des Universités à l’UPMF Grenoble, auteur de "La Pensée stratégique russe, Guerre tiède sur l’échiquier eurasien"(1), le président russe nouvellement réélu vise à affirmer "la Russie comme Grande puissance eurasienne soucieuse de défendre ses intérêts nationaux".

Après l’élection de Vladimir Poutine pour un troisième mandat présidentiel, quelles vont être les principaux enjeux et les priorités de la Russie sur le plan de la politique internationale?
 
Jean Géronimo. Ces enjeux se réduisent à l’achèvement du retour russe: l’affirmation de la Russie comme Grande puissance eurasienne, soucieuse de défendre ses « intérêts nationaux » – et non plus idéologiques – élargis à l’espace de l’ex-URSS, la Communauté des États indépendants (CEI) . Sous la houlette de Vladimir Poutine, la Russie va poursuivre sa stratégie de puissance (derjava), sur la base de l’accélération de son développement économique et militaire (surtout nucléaire) et de sa reprise en main de la CEI, son « Etranger proche », devenue la priorité de sa politique extérieure. Dans le prolongement de la Pérestroïka gorbatchévienne, Vladimir Poutine vise à instaurer une gouvernance mondiale plus équilibrée, intégrant les nouvelles puissances (ré-)émergentes (dont Russie, Chine, Inde) et privilégiant le rôle de l’ONU, comme vecteur du pluralisme démocratique. A terme, l’objectif est de créer un monde multipolaire contestant l’hégémonie américaine.

"Une Russie revancharde qui cherche à défendre ses positions"

Quelles réponses les Russes vont apporter dans les relations américano-russes alors que Barack Obama va se lancer dans la course aux présidentielles?

Jean Géronimo. Dans la mesure où la Russie se sent aujourd’hui plus forte, un durcissement de sa politique américaine semble inéluctable. Vladimir Poutine estime que la Russie a trop reculé depuis la transition post-communiste induite par la disparition de l’URSS, le 25 décembre 1991 . Il voudrait avancer sur 3 dossiers brûlants : le bouclier de l’OTAN, le chaos afghan, l’impasse syrienne. La Russie espère être davantage « écoutée » et, surtout, comprise dans son appréhension des menaces à sa sécurité nationale.
  1. D’abord, elle espère que l’axe OTAN-Etats-Unis révisera sa version « anti-russe » du bouclier anti-missiles, suspectée de poursuivre « l’encerclement ».
  2. Ensuite, elle espère de cet axe une politique plus cohérente en Afghanistan, dans sa lutte contre la drogue et le terrorisme – pour bloquer leur progression vers la CEI.
  3. Enfin, elle prône une approche plus équilibrée au Moyen-Orient, notamment en Syrie, pour éviter la déstabilisation de la région. Sur l’ensemble de ces questions, Moscou espère une réelle prise en compte de ses intérêts.
Globalement, c’est donc une Russie revancharde qui cherche à défendre ses positions contre les velléités expansives de la puissance américaine, avide de la supplanter dans son espace historique. Dans ce but, elle renforcera son contrôle de sa proche périphérie, en vue d’y stabiliser sa domination – via ses structures collectives économiques (Communauté économique eurasienne) et politico-militaires (Organisation de coopération de Shanghai et Organisation du Traité de sécurité collective) – et consolider, ainsi, son glacis sécuritaire.


Désormais, il s’agit pour Vladimir Poutine de neutraliser la stratégie de reflux de la puissance russe, structurellement menée par l’administration américaine depuis la fin de la Guerre froide. Son avancée au cœur de l’ancien Empire soviétique se réalise sur la base de l’extension des révolutions libérales « de couleur », du contrôle des circuits énergétiques et de l’implantation de bases militaires. Elle implique le contrôle des Etats stratégiques – les « pivots géopolitiques » de Z. Brzezinski. Retour vers la Guerre tiède. A terme, la Russie s’efforcera de reconquérir son pré-carré, contre les intérêts américains et, en cela, réactivera les tensions américano-russes.

Syrie: "Méfiance face à ces "révolutions" instrumentalisées"

Au Proche Orient, comment expliquez-vous la position russe sur la question syrienne et sur les révolutions arabes?

Jean Géronimo. La position de Moscou sur la Syrie exprime, de manière globale, sa méfiance face à ces « révolutions » instrumentalisées, selon elle, par des forces extérieures. La Syrie, qui abrite une base russe, est son dernier bastion dans la région, perçu comme un verrou sécuritaire stabilisateur des tensions frontalières.
Dans la vision russe, les instabilités arabes constituent une menace, déclinée en deux temps. Dans un premier temps elles expriment un recul sensible de la Russie sur l’échiquier arabe. Dans un second temps, Moscou redoute une contagion révolutionnaire dans son espace politique intérieur (Caucase, Oural) et extérieur (Asie centrale), où la population musulmane est courtisée par l’idéologie émancipatrice de l’Islam radical. Cette vague « démocratique »  est encouragée par la puissance américaine, dans la mesure où elle sert son objectif de déstabilisation, donc d’affaiblissement et de démantèlement de la Russie.
Moscou s’oppose à toute ingérence extérieure en Syrie selon le « modèle libyen » d’instrumentalisation de l’ONU, au nom de principes moraux et humanitaires à géométrie variable. D’autant plus qu’elle garde en mémoire le « scénario yougoslave » de 1999, marqué par le bombardement meurtrier de l’OTAN, en violation des règles onusiennes. De ce point de vue, la Syrie sera un symbole fort du retour de la puissance russe et de sa capacité à s’opposer à l’unilatéralisme occidental, via le levier de l’Otan.

Vladimir Poutine va-t-il reprendre et développer une politique eurasienne et se rapprocher de Pékin?

Jean Géronimo. L’ancrage eurasien de sa politique étrangère est une nécessité vitale pour la Russie, d’une part, pour influencer la gouvernance mondiale et, d’autre part, pour stopper sa marginalisation de la scène mondiale. Cette inflexion a été impulsée dés la fin des années 1990 par E. Primakov, le vieux « soviétique », face au maintien de l’hostilité américaine. Le rapprochement avec la Chine (et l’Inde) s’inscrit dans le cadre d’un partenariat multidimensionnel (économique et stratégique) renforçant l’axe eurasien pour contrebalancer l’hégémonie de la gouvernance mondiale néo-libérale, portée par l’axe américain. Or, si la Chine est un partenaire fiable à court terme, elle deviendra à long terme pour la Russie une source d’incertitudes. En se réarmant de manière accélérée, via sa force nucléaire, la Chine exprimera une menace latente pour la Russie, aggravée par sa stratégie migratoire.



(1) Nouvelle édition, parue chez SIGEST, mars 2012, EAN: 9782917329375

source : http://www.humanite.fr/monde/poutine-veut-un-monde-multipolaire-pour-contester-l%E2%80%99hegemonie-americaine-493709

Voir ici l'intervention de Jean Géronimo à la Fondation Gabriel Péri-Paris
http://www.gabrielperi.fr/spip.php?id_document=886&page=video