jeudi 1 mars 2012

Le « Grand Azerbaïdjan »

Le rêve d'un "Grand Azerbaïdjan"

 

Editorial par Edmond Y. Azadian 
L'original en anglais, publié dans "The Armenian Mirror-Spectator" en date du 18 février 2012








Si la Turquie moderne se permet de rêver - et de concevoir - une nouvelle extension de l'Empire ottoman vers l'Asie centrale, et si l'Etat moderne d'Israël est autorisé à réclamer son Eretz Israël (Terre dIsraël décrit dans la Genèse et l'Exode 15 23), pourquoi ne pas permettre à l'Azerbaïdjan de rêver d'un plan pour un « plus grand Azerbaïdjan », couvrant la quasi-totalité du Caucase ? Apparemment, seuls les Arméniens ne peuvent nourrir de tels plans. Comme un écrivain extrémiste turc la déclaré récemment, « le rêve dune Grande Arménie ne sera qu'un rêve. »

Azerbaïdjan, qui n'a jamais été un État souverain avant 1918, a commencé, depuis l'effondrement de l'Union soviétique, à se concocter une histoire pour justifier ses revendications sur ses voisins. Cependant, malgré tous ses défauts de « l'Empire du Mal », le système soviétique a imposé une fraternité forcée entre les nationalités constitutives afin d'interdire les conflits inter-ethniques. Maintenant que le système n'existe plus, la « fraternité » sest également évaporé, donnant lieu à des conflits et des affrontements sanglants.

Depuis la guerre du Karabagh, l'Azerbaïdjan a formulé des allégations scandaleuses envers l'Arménie. Le défunt président azéri, Abulfaz Elchibey, avait planifié d'occuper l'ensemble du territoire de l'Arménie, de se laver les pieds dans l'eau du lac Sevan et de boire du thé sur ses rives. Il a également menacé de « libérer » l'Azerbaïdjan iranien, ou le nord de l'Azerbaïdjan, et de lannexer à l'actuelle République d'Azerbaïdjan. Elchibey était perçu comme une figure donquichottesque de la politique du Caucase et a été rejeté en tant que tel.

Mais aujourd'hui, alors que les nuages commencent à sassembler sur l'Iran, les dirigeants azéris y voient une chance renouvelée pour la réalisation de ces objectifs ambitieux au dépend d'un Iran fractionné, avec des retombées s'étendant jusquà l'Arménie.

En effet, jusqu'à récemment, la rhétorique belliqueuse du Président Ilham Aliev était dirigée contre le Karabagh. Mais, dans un discours prononcé récemment devant ses forces armées, il a indiqué que les Arméniens n'existaient pas dans le Caucase, qu'ils nétaient apparu dans la région quau 18e siècle et avaient été tolérés alors quils habitaient des terres azéries. Et cette affirmation saugrenue a été faite nonobstant lempire de Tigrane II, bien avant le Christ, ou le fondateur d'Etchmiadzine, en l'an 301 de notre ère.

Mais les plans azéris ne sont pas seulement de nature rhétorique ; ils sont basés sur lévolution récente de la région. Comme le printemps arabe se rapproche d'Iran, les Azéris croient qu'ils peuvent être un instrument dans les plans de l'Occident et devenir le premier bénéficiaire d'une désintégration iranienne potentielle. Vafa Guluzadeh, ancien conseiller du gouvernement, a déclaré récemment que « s'il y avait eu une base militaire américaine sur notre territoire, nos voisins noseraient pas s'exprimer contre nous comme ils le font maintenant.»
Israël, toutefois, remplit ce vide grâce à ses conseillers militaires et ses ventes d'armes, dont des drones, qui nont pas seulement comme objectif le Karabagh, mais aussi l'Iran en cas de confrontation importante dans la région. Le « Printemps arabe » ou le changement de régime dans les pays hostiles à Israël, sont réalisés par implosion interne de ces pays en utilisant les lignes de fractures confessionnelles. Chiites, Kurdes et Sunnites sopposent les uns aux autres pour détruire l'Irak. En Libye, les différences tribales étaient commodes pour servir ce plan et ces jours-ci la majorité sunnite de Syrie est armée et organisée par la Turquie contre les Alevis au pouvoir pour renverser le régime syrien de Bachar al Assad.

Puisque lexemple de ce plan est évident, il ne fait aucun doute que l'Azerbaïdjan iranien sera utilisé pour déstabiliser le régime iranien et obtenir une éventuelle disparition. C'est pourquoi les appétits sont aiguisés afin de bénéficier d'un effondrement potentiel de l'Iran voisin. La pouvoir de Bakou est un partenaire complaisant dans les dessins pour un changement de régime en Iran, avec le possible démembrement de son territoire qui en résulterait.

Récemment, un scientifique du nucléaire, Mostafa Ahmadi Roshan, a été assassiné en Iran, comme une extension des plans occidentales pour disqualifier Téhéran comme une puissance nucléaire. Le gouvernement iranien a accusé Israël d'avoir commis cet acte terroriste, mais il s'avère, selon un communiqué du gouvernement, que le coupable était originaire d'Azerbaïdjan.

Récemment, l'aide du gouvernement américain à lArménie a été de 35 843 millions de dollars, en baisse par rapport à l'an dernier 43 430 $ (une coupe de 18%). L'ironie est que la parité militaire a été maintenue entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, malgré l'article 907 du Freedom Support Act interdisant une aide américaine directe à l'Azerbaïdjan. Grâce à son pouvoir exécutif, le président George Bush avait suspendu cette interdiction, une politique toujours soutenue par l'administration Obama. Historiquement, un certain nombre de possibilités ont été soulevées dans le passé pour démembrer l'Iran; la première tentative a été entreprise par la Turquie ottomane au début du siècle dernier, la seconde chance est survenue en 1944-45, alors que les forces d'occupation soviétiques avaient déclaré la constitution dune « république démocratique d'Azerbaïdjan », un état vassal de Moscou, et la troisième tentative a eu lieu en 1989, lorsque la frontière entre l'Azerbaïdjan et l'Iran a été abolie. Ces précédents ont donné de l'espoir aux dirigeants de Bakou pensant qu'ils seraient des bénéficiaires en première ligne si l'Iran tombait.

Les milieux gouvernementaux, les médias et les milieux universitaires ont pointé le 21 février, date anniversaire du traité de Turkmenchay de 1828 entre l'Iran et la Russie. La logique derrière ce regain d'intérêt pour le traité, est qu'il démembre supposément « lAzerbaïdjan historique » en le remettant à la Russie. Par conséquent, un autre traité pourrait restaurer la souveraineté de l'Azerbaïdjan sur ces terres appelées Nord de l'Azerbaïdjan. Le plan directeur est d'unir l'Azerbaïdjan iranien avec l'actuelle République d'Azerbaïdjan, ce qui rongerait les montagnes du Karabagh, l'ensemble du territoire de l'Arménie, le sud du Daghestan, Akhalkalak et Akhaltzkha (les deux dernières régions de la Géorgie). Ce plan devrait inquiéter non seulement l'Arménie, mais aussi la Russie et la Géorgie, dont les territoires sont compromis. Le traité de Turkmenchay est commémoré par les Arméniens comme un événement historique libérant lArménie de la domination musulmane et le transfert du territoire vers une dynastie soi-disant plus tolérante et chrétienne, les Russes.

Le premier romancier arménien de lEst, Khatchadour Abovian, salue l'événement dans son livre, « Plaies d'Arménie, » en déclarant « Béni soit le moment le pied russe a foulé la terre d'Arménie. » En effet, les Arméniens avaient beaucoup à célébrer. Le traité a été signé à la fin de la guerre de 1826-1828 entre l'Empire russe et lEmpire Qajar (l'Iran moderne). Plus tôt, les Iraniens avaient cédé certains territoires à la Russie par le traité de Gulistan (1813). Plus tard, les Iraniens ont renié leurs engagements, ce qui a conduit à un nouveau conflit réglé à Turkmenchay.

Dans l'article 4 du traité, l'Iran renonce à toute réclamation sur le khanat d'Erivan (actuelle Arménie centrale), le Nakhitchevan Khanate (plus que lactuelle République autonome du Nakhitchevan en Azerbaïdjan), le khanat Talysh, le Ourdubad et les régions Mughan (maintenant aussi faisant partie de l'Azerbaïdjan), en plus de toutes les terres annexées à la Russie par le traité de Gulistan.

Ce qui était important pour les Arméniens, c'est que le traité prévoyait également la relocalisation des Arméniens de Perse dans le Caucase, ce qui comprenait aussi une libération pure et simple des prisonniers arméniens qui avaient vécu en Iran depuis 1804 et même depuis 1795. En outre, la réinstallation permettait une compensation pour la perte de 20 000 Arméniens qui avaient déménagé en Géorgie.

Le traité de Turkmenchay est devenu un outil entre les mains des dirigeants de Bakou qui ont revendiqué le transfert de territoires dun empire vers un autre en 1828. Dans ce même ordre didées, les Azéris sont devenus des partenaires consentants et les participants d'une conspiration visant à détruire l'Iran tout en affligeant d'énormes dégâts à l'Arménie. C'est pourquoi Aliev est toléré dans sa guerre effrénée et c'est pourquoi le régime azéri est compensé grâce à la suspension du Freedom Support Act.

Si les revendications dElchibey ont fait rire à l'époque, cette fois-ci l'Azerbaïdjan parle business. C'est une loi inhérente de la politique que les petites nations doivent aligner leurs intérêts sur ceux des plus grands.
Et aujourd'hui, c'est la realpolitik de Bakou qui poursuit sa propre idée dun « Grand Azerbaïdjan ».


(c) Traduction N.Papazian